Quelle truffe !

Publié le par Charlotte

Faire la cuisine ici, à la campagne, a ceci de merveilleux que mes idées, qui d'ordinaire tourbillonnent et se bousculent, soudain se mettent à leur place et laissent émerger leur quintessence : LA bonne idée. Il faut dire que de la fenêtre de la cuisine, j'ai une vue très agréable sur le potager florissant du voisin, avec ses potirons orange vif, et aussi depuis quelques jours, sur un troupeau de vaches paisibles et gourmandes. Une fois le regard et la pensée déposés dans ce cocon de couleurs, je suis comme dans mon hamac : plongée dans une rêverie où tout devient possible. En même temps les mains travaillent tranquillement, répétant vingt fois un geste identique : éplucher des légumes ou casser six oeufs pour la mousse au chocolat (six oeufs pour 200 gr de chocolat, essayez, c'est parfait). Et c'est dans cette réceptivité, ce repos du mental, enfin, que naît LA bonne idée (je vais vous la donner!). Mais d'abord, je dois dire que j'avais déjà eu en tête de réaliser un recueil de portraits de gens du pays, et que ce premier projet s'était précisé : il devait porter sur le lien des gens avec la terre, et j'avais en vue Patric, cultivateur de truffe et de légumes , et Valérie, notre nouvelle copine éleveuse de chèvres et reine des cabécous. D'autres portraits suivraient, me disais-je. En parallèle j'avais proposé au rédacteur en chef de Passions Quercy, beau magazine régional, plusieurs sujets sur la truffe dont la saison commencera en décembre : Patric, cultivateur et éleveur de chiens dressés pour trouver ce tubercule en or ; son père qui, m'a-t-il dit (avec à l'appui une photo où ce dernier apparaissait en grande pompe, avec costume et médaille), était président d'une société d'amateurs éclairés ; mais aussi un vieux monsieur qui avait consacré sa vie à diverses expérimentations sur la trufficulture et qui donnait la touche finale à une trouvaille écologique et révolutionnaire ; sans oublier un centre de recherche de l'INRA sur les secrets de cet étrange champignon. Et je ne compte pas les confréries de la truffe, le marché international de Lalbenque où le kilo de truffe se négocie autour de 1500€ avec des millionnaires japonais, et bien d'autres facettes de la culture et du commerce que j'ignore encore.
Alors moi, la truffe, c'est pas mon truc et en plus "je n'y entends rien" comme dit ma grand-mère avec son bel accent du sud-ouest. Moi, j'aime les légumes, tous les légumes ou presque et sous toutes leurs formes : c'est en lui achetant des tomates de variétés anciennes, des jaunes dorées, des noires, des vertes tigrées, que j'ai rencontré Patric au marché de Bretenoux. Mais les champignons, ni d'ailleurs les mets extrêmement raffinés et chers, ça ne m'attire absolument pas. Pour tout dire, l'unique fois où j'ai goûté de la truffe, c'est lors d'une soirée sympa à Puymule où Lucky et Poisson l'avaient cuisinée en omelette après l'avoir rapportée toute fraîche du fameux marché de Lalbenque. Une odeur envoûtante et d'autant plus fascinante qu'elle ne me rappelait rien de ce que j'avais auparavant goûté et humé. Le choc de la nouveauté. Le vertige de l'étrangeté! Mais le goût n'avait pas tenu la promesse du parfum et j'en étais restée là de ma découverte. Et voilà que la truffe revenait vers moi, non par ses qualités gustatives mais par son auréole de mystère, la force d'attraction qu'elle exerce sur les hommes (hommes, oui, en effet, il semble bien que ce soit un monde masculin) et la formidable puissance identitaire qui fait d'elle, "truffe du Quercy", un repère, un signal. Mais je le maintiens, ce n'est pas cette drôle de patate noire minuscule qui m'intéresse mais le fait qu'elle relie des êtres, draine des passions, bâtit des empires familiaux et voyage au bout du monde, malgré cet aspect un peu grotesque justement. Ce qui me plaît, c'est de découvrir les motivations des amateurs comme des cultivateurs, de comprendre les relations entre tous les acteurs de la chaîne, et si possible de percer le secret de ces folies qui me semblent pour l'instant incompréhensibles. C'est l'idée d'un tel livre qui a surgi en moi alors que je préparais ma (modeste et géniale) mousse au chocolat. Peut-être qu'il y a plusieurs siècles, un benêt de mon espèce s'est aussi demandé qu'est-ce que ses contemporains pouvaient bien trouver de si extraordinaire au cacao ?

Publié dans ça se construit

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